Netocean

Sarkozy incapable de tourner la page du dollar

by sylher on avr.30, 2008, under Actualités

Par Edouard Husson, historien, qui voit dans l’histoire monétaire française, a fortiori dans les volontés du président, une incapacité à sortir du «système dollar» alors que la réalité devrait nous pousser à se tourner vers les nouveaux grands: Russie, Chine, Japon…


Le 4 février 1965, le général de Gaulle prononça ce qui fut sans doute l’appel le plus important de sa présidence – et l’un des moins compris. Il attira l’attention du monde sur les dysfonctionnements de l’économie mondiale qu’allait bientôt entraîner le système monétaire international tel qu’il avait été conçu à Bretton Woods. Disposant de la seule monnaie convertible en or, monnaie dont ils avaient fait un moyen de réserve international, les Etats-Unis pouvaient s’endetter à volonté puisque le reste de l’économie mondiale avait besoin de dollars pour garantir sa propre fabrication de monnaie. En fait, comme le montrait De Gaulle, qui avait parfaitement intégré les leçons de Jacques Rueff, on avait passé le point d’équilibre: la quantité de dollars en circulation dans le monde était déjà telle que la monnaie américaine se dévaluait de fait. Il fallait refaire de l’or, disait-il, le point d’ancrage du système monétaire international.

De Gaulle, seuls contre tous, à gauche comme à droite
Que ne s’est-on payé la tête de De Gaulle à l’époque! Sa conférence de presse fut la première d’une série d’analyses lucides de l’état du monde (les discours de Phnom Penh, de Montréal, de la conférence de presse sur la Guerre des Six jours), qui se révélèrent toutes prophétiques, mais qui coupèrent progressivement l’ancien chef de la Résistance française des faiseurs d’opinion, puis ébranlèrent la confiance d’une partie des Français. Le mythe d’un président trop vieux se répandit, complaisamment entretenu par la presse anglo-américaine. Pensez-vous, De Gaulle croyait encore à ces vieilles lunes, il n’avait pas lu Keynes, le pourfendeur de la «relique barbare», l’or! Personne ne suivit le président français, ni ne comprit la portée de ses avertissements.

C’était l’officier de la Première Guerre mondiale qui comprenait comment les Américains entretenaient, au Vietnam ou dans la multiplication des missiles intercontinentaux, l’esprit de la Guerre froide – grâce à une fabrication potentiellement illimitée de dollars, pourvu que le «monde libre» marche dans la combine. Et tout cela afin de doper, par un «keynésianisme militaire», leur économie soumise à toujours plus rude concurrence (européenne dans les années 1960, asiatique depuis les années 1970). A l’opposé, les soixante-huitards pacifistes sont devenus, avec les années et malgré leur slogan «Faites l’amour, pas la guerre», les garants du système américano-centré. Dans les années 1980, ils ont découvert l’argent facile mis par les Etats-Unis à la disposition du reste du monde, et ont vite oublié leur vieille détestation de l’impérialisme américain. Ils ont toléré, puis encouragé, un système international où le pétrole a remplacé l’or comme garantie matérielle du dollar, ce qui conduit les Etats-Unis a défendre toujours plus agressivement le contrôle qu’ils exercent sur les approvisionnements pétroliers – au risque d’embraser le Moyen-Orient. Ils ont participé toujours plus activement à l’accaparement toujours plus frénétique par une minorité d’individus toujours plus voraces d’un dollar-papier toujours plus dévalué et des produits financiers fondés sur lui à la valeur toujours plus hypothétique. Il n’y a pas d’autre explication sérieuse à la croissance des inégalités dans le monde.

La prise en otage des économies par le dollar
Si l’esprit européen avait été une réalité à la fin des années 1960, les membres du Marché commun auraient fait bloc derrière De Gaulle et exigé des Etats-Unis qu’ils remettent de l’ordre dans leurs finances et qu’ils adhèrent sérieusement à l’esprit de détente. Mais les Etats-Unis n’eurent rien à craindre: on se moqua de De Gaulle, on se réjouit de son départ. Personne ne s’opposa au coup d’état monétaire d’août 1971, lorsque Nixon annonça que les Etats-Unis n’honoreraient plus la convertibilité en or du dollar – le président Pompidou et son ministre des Finances Giscard capitulèrent comme les autres Européens. Et depuis plus de trente ans, le monde a dû subir un système monétaire international pervers où les déficits américains servent à financer la croissance monétaire mondiale, où les Etats-Unis drainent jusqu’aux trois quarts de l’épargne mondiale. Car lorsque l’on a des dollars-papiers toujours plus nombreux – et donc valant en réalité toujours moins – on n’a guère d’autre perspective que de les replacer aux Etats-Unis en espérant que la force de travail des Américains, leur ingéniosité financière et leurs dépenses de défense en maintiendront la valeur.

Un système américano-centré tenu par la peur de l’effondrement
Il y avait quelque chose de pathétique dans l’opposition, en 2003, de Jacques Chirac et Dominique de Villepin à la guerre en Irak. Ils étaient lucides politiquement, mais incapables de comprendre l’envers du décor. Les pays, toujours plus nombreux, qui à la suite de la France et de l’Allemagne, se sont opposés à la guerre, ne semblaient pas voir que c’était la communauté internationale qui donnait, malgré ses critiques, aux Etats-Unis les moyens de financer leur appareil de défense et la guerre. Comment les Etats-Unis peuvent-ils dépenser 50 milliards de dollars par mois pour leur défense, quand ils ont besoin de la même somme, mensuellement, pour combler leurs déficits de toutes sortes? Parce que le reste du monde (épargnants européens, investisseurs des pays producteurs de pétrole, banques centrales asiatiques) continuent à couvrir ces déficits sans broncher depuis des années.

Ce que Chirac et Villepin dénonçaient n’était que la face émergée de l’iceberg. Mais leur combat venait au bon moment, malgré l’insuffisante compréhension des mécanismes en jeu. En effet, George W. Bush restera dans l’histoire comme le président qui aura poussé à bout les ressources du système mis en place par Nixon, au point de le détraquer. Durant les six premières années de sa présidence, la masse monétaire américaine, tous produits confondus, a augmenté de 20% par an – pour amortir le krach des actifs boursiers, entretenir la consommation américaine et financer les guerres américaines. Depuis le début de la crise des subprimes, on en est à au moins 5% par mois. C’est-à-dire que, sous notre ami W, la masse monétaire américaine aura historiquement triplé. Autant dire que les Etats-Unis ont détruit la monnaie de réserve internationale. Le système ne continue à tenir que parce que le reste du monde, à commencer par la Chine, ne veut pas voir s’évaporer en quelques jours d’immenses réserves en dollars sur lesquelles reposent le financement de son économie. Mais nul ne peut dire ce qui l’emportera, des forces de destruction inhérentes à la politique «néo-conservatrice» (quelle ironie dans cette auto-désignation!), ou des tentatives de stabilisation de la situation par les grands acteurs internationaux.

On saisit le contresens commis par Nicolas Sarkozy lorsqu’il veut resolidariser la France aux Etats-Unis au moment où il faudrait se concerter activement avec la Russie, la Chine, le Japon et les pays pétroliers pour poser les bases d’un système monétaire international assaini.


Je me suis permis de reproduire cet article de Marianne car je le trouve tout à fait intéressant des problèmatiques économiques de notre Société.
L’article original ici mêmeDe plus, cela nous donne un aperçu des difficultés futures qui s’annoncent pour faire face à un déséquilibre toujours croissant.

:, , ,

Comments are closed.

Looking for something?

Use the form below to search the site:

Still not finding what you're looking for? Drop a comment on a post or contact us so we can take care of it!